Jean Sébastien Bach (1685-1750) est l’auteur d’un nombre impressionnant d’oeuvres vocales (messe, passions, choeurs…et plus de 200 cantates aujourd’hui retrouvées).
De même, il composa régulièrement pour les instruments, des 1ères pièces pour orgue de 1708 jusqu’à L’Art de la Fugueécrit peu avant son décès. Ainsi peut-on citer ses œuvres pour orchestre, ses concertos (dont les 6 Brandebourgeois), les arrangements de ses propres productions ou celles de ses illustres contemporains (Telemann, Vivaldi…) sans oublier les pièces pour instrument seul (Suites pour violoncelle, Partitas pour violon, etc) dont Les Variations Goldberg, un des monuments pour clavier et 4ème partie de son Klavierübung .
Les Variations Goldberg(« Aria avec quelques variations pour clavecin[1] à deux claviers »[2]), d’après Forkel, auraient été composées vers 1740 pour le claveciniste Goldberg, jeune élève de Bach chargé de jouer notamment pendant les insomnies du Comte Keyserling, ancien ambassadeur de Russie.
L’ensemble s’appuie sur une aria de 32 mesures avec reprises, au doux balancement tonique/dominante en Sol Majeur. La partie supérieure, ornée et rappelant des vocalises, se déploie en notes conjointes, venant souligner le caractère paisible de l’ensemble.
Les 30 variations respectent toutes la structure de l’air initial, tant sur le plan tonal que formel (chacune de 32 mesures organisées en 2 parties) à l’exception des n°3,9,21,30 (16 mesures) et de la longue variation centrale (n°16) en forme d’ouverture à la française (48 mesures).
Une grande diversité d’écritures répond à ce pari musical de ne jamais lasser l’auditeur à travers le développement des multiples facettes du thème initial.
Il se dégage d’abord une structure globale très équilibrée : 29 variations sont réparties autour de la longue Ouverture à la Française (variation 16).
On retrouve cet équilibre dans chaque variation dont les 2 parties se répondent : soulignées le plus souvent d’ un mouvement mélodique ascendant (partie 1) puis descendant (partie 2), utilisant des procédés de miroir, de figures rythmiques complémentaires…
Par ailleurs apparaît un canon toutes les 3 variations, ainsi nommé par Bach, désignant deux entrées successives de voix : d’abord à l’unisson, puis à l’intervalle de seconde, ensuite de tierce…jusqu’à la neuvième, soit 9 canons en tout.
Autre procédé créant la surprise, Bach vient à 3 reprises rompre le climat enjoué de la tonalité principale. Intervenant à la 15ème, 21ème puis 25ème variation, ces soudaines interventions du mode mineur au ton homonyme de sol développent un climat tendu, parfois plaintif et toujours très expressif.
Ainsi pourra-t-on remarquer les notes répétées et les chromatismes de la 15ème variation ou la grande intensité expressive de la 25ème, marquée par le saut de sixte de sa ligne supérieure.
Ce monument pour clavier réunit différents courants d’écriture que Bach a développés toute sa vie, depuis le style italien (conception verticale, avec une mélodie souvent ornée, mise en valeur et soutenue par des accords) jusqu’au rigoureux contrepoint et au style fugué (conception horizontale : des « voix » égales se répondent ou s’imitent).
Or, il indique soigneusement en-tête de chacune de ces variations pour clavecin le nombre de claviers nécessaires (1 ou 2), beaucoup d’entre elles étant considérées d’un haut niveau d’ exécution à son époque.
Outre l’ornementation, la difficulté technique naît de la division du temps à l’extrême, comme la 25ème variation, la superposition de 2 chiffrages de mesure, comme la 26ème (18/16 et 3/4 dans un effet à 3 temps), des traits mélodiques parfois très rapides, l’amplitude de l’ambitus, comme la 11ème variation à plus de 3 octaves, ou encore celle de la 29ème…jusqu’au Quodlibet final, 30ème variation sous forme de pot-pourri, forme musicale souvent utilisée dans les banquet de mariage à cette époque.
Bach réunit là plusieurs mélodies populaires, apparaissant de manière fugace, simultanément ou en imitation et dans une grande densité musicale de 16 mesures. En conclusion réapparaît l’aria initiale.
Tenter d’exécuter cette œuvre au piano relève du défi puisque les difficultés techniques déjà présentes aux 2 claviers du clavecin sont condensées à un seul.
Cette notion de virtuosité sous-tend la réflexion de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard dans son roman philosophique Le Naufragé, publié en 1983.
Il s’agit d’un monologue concernant Glenn Gould, savant interprète de J.S.Bach.
Sa rencontre avec Thomas Bernhard ainsi que l’écrivain Wertheimer au Mozarteum de Salzbourg a été déterminante pour l’avenir de ces trois protagonistes. Réunis dans un cours de Horowitz à Salzbourg, Gould se révèle un génie du clavier face aux deux autres participants qui abandonneront toutes leurs illusions de carrière pianistique.
Le roman Le Naufragé traite de la condition humaine dans une conception musicale. Ici Thomas Bernhard applique en littérature l’écriture contrapuntique, faisant écho aux Variations Goldberg et à L’Art de la Fugue. Chaque personnage a une fonction : le sujet Glenn Gould, repris par le narrateur puis par Wertheimer tandis que son suicide forme la conclusion de l’oeuvre.
L’Art de la Fugue, composé également à la fin de la vie de J.S.Bach (entre 1740 et 1750) et peut-être inachevé, contient 14 fugues et 4 canons tous écrits sur une même mélodie et d’une difficulté croissante.
Bach atteint un sommet dans le traitement des « voix », offrant à la fugue des illustrations très recherchées qui marqueront les compositeurs à venir, notamment ceux de la seconde école de Vienne des années 1920-30 et le mouvement sériel, entre autres.
Cette œuvre a la singularité de pouvoir être exécutée à des medium très différents.
Ainsi le chef Leonardo Garcia Alarcon et le compositeur argentin Maurizio Kagel (1931-2008) la reprennent avec les couleurs de l’Argentine, aux côtés du fameux Chorbuch. Habitué à « jouer » avec la tradition musicale occidentale, Kagel propose avec humour et théâtralité de revisiter cette autre œuvre majeure de Bach.
[1]Clavecin : instrument à cordes pincées à 1 ou 2 claviers. Quoique sa forme se rapproche du piano à queue, celui-ci est un instrument tout à fait différent car à cordes frappées.
[2]Titre indiqué par J.S.Bach